Article extrait d’ « Alternatives Économiques »
35 heures : les contresens d’Hervé Novelli
L’ex-secrétaire d’État au Commerce Hervé Novelli commet un double contresens quand il attribue aux 35 heures un coût du travail français qu’il croit supérieur à celui de l’Allemagne. En réalité, les coûts du travail français et allemands sont très proches, et ne dépendent pas vraiment de la durée légale du travail.
Dans Les Echos du 27 décembre, Hervé Novelli, le secrétaire général adjoint de l’UMP affirme, dans un entretien avec Véronique Le Billon, que « Le coût du travail français est supérieur au coût du travail allemand depuis le début des années 2000, c’est-à-dire peu ou prou depuis que nous sommes passés aux 35 heures ».
Effectivement, l’indice (base 100 en 2000) du coût du travail horaire dans l’industrie manufacturière (seul domaine où la comparaison ait un sens, puisque les producteurs ont le choix entre produire sur place ou délocaliser, et les consommateurs entre acheter made in France ou fabriqués à l’étranger), est à 130,7 en 2008 (dernière année connue) en France, contre 119,1 en Allemagne. L’évolution est donc très nettement en défaveur de la France. Mais ce n’est pas à l’évolution que M. Novelli fait référence. C’est au niveau qu’il en a. Et il a tort. En 2000, le coût horaire du travail (cotisations sociales et congés payés inclus) s’élevait à 24,98 € en France et à 27,60 € en Allemagne, soit 10,5 % de plus. En 2008, les niveaux se sont presque rejoints, l’évolution ayant été plus rapide chez nous qu’outre-Rhin : 32,36 en France, contre 32,87 en Allemagne.
Qu’un ancien secrétaire d’État (au Commerce) confonde évolution et niveau est déjà étonnant. Mais qu’il attribue ces évolutions aux 35 heures est quasi hallucinant. Au sein de l’UE à 15, entre 2000 et 2008, seuls trois pays voient leur coût horaire de main-d’œuvre progresser moins vite que celui de la France : outre l’Allemagne, il s’agit de l’Autriche et du Portugal. Tous les autres – soit dix pays, dont huit font partie de la zone euro – connaissent une évolution égale (Belgique) ou plus forte (les neuf autres) à celle de la France. On est donc étonné d’apprendre implicitement, sous la plume (ou, plutôt la langue) de M. Novelli, que, sans le dire, tous ces pays auraient, comme la France, basculé dans quelque chose qui ressemble aux 35 heures.
M. Novelli, d’ailleurs, n’est pas dupe. Un peu plus loin dans l’entretien, il avance que, dans les entreprises françaises, « l’effet des 35 heures a été pour l’essentiel absorbé par la hausse de la productivité ». La logique de M. Novelli semble très défaillante. Soit les entreprises (manufacturières) françaises ont vu leurs coûts de main-d’œuvre tirés vers le haut à cause des 35 heures et, dans ce cas, elles devraient présenter des évolutions (et un niveau) de coût de main-d’œuvre plus élevées qu’ailleurs. Ce qui n’est pas le cas. Soit le surcoût des 35 heures a été compensé par des gains de productivité, les coûts de main-d’œuvre évoluant alors en France plutôt moins vite qu’ailleurs, et les problèmes de compétitivité éventuelle des entreprises doivent être cherchés ailleurs que dans la durée légale du travail. Comme la première proposition n’est pas vérifiée, M. Novelli devrait se rabattre logiquement sur la seconde, qui correspond davantage aux faits. Mais le bouc émissaire des 35 heures est si commode …
Comme l’écrivait Jean-Claude Bayol dans un récent courrier des lecteurs d’Alternatives Économiques (numéro de janvier 2011), justement à propos des « grands médias » et des 35 heures : « Je suis au regret de constater que leurs journalistes laissent assez souvent dire n’importe quoi à leurs interviewés, sans les reprendre, ni au cours de l’entretien, ni dans un commentaire annexe. »
Je suis complètement en phase avec ce point de vue, et plutôt que de faire ici un très long commentaire, je poste un nouvel article :happy: